Haïti : Quand le désespoir devient la première cause de mort lente
- GenecoHaïti
- Oct 3
- 3 min read

En Haïti, il n’est plus nécessaire de compter les morts ni de dresser le bilan quotidien des violences pour mesurer la profondeur de la crise. Le mal qui ronge le pays est plus sournois, plus insidieux, et peut-être plus dangereux encore : il s’appelle désespoir. C’est ce désespoir diffus, installé dans les esprits et dans les corps, qui tue lentement, jour après jour, l’être haïtien et la patrie qu’il porte en lui.
Le patriotisme, autrefois pilier d’un imaginaire collectif, s’est dissous dans le silence amer d’une population qui n’a plus rien à attendre de son pays. Ce sentiment d’appartenance qui avait permis de traverser les épreuves les plus dures s’effrite sous le poids des humiliations quotidiennes, de la pauvreté endémique et de l’exode massif. Là où l’on chantait jadis l’amour de la terre natale, on rêve aujourd’hui surtout de départs et de frontières à franchir. L’attachement au pays s’est mué en un rapport de désillusion, presque de rejet.
Dans cette lente décomposition, les liens sociaux n’ont pas été épargnés. La solidarité spontanée, héritée de traditions communautaires profondes, cède la place à une logique de méfiance et de survie. Le voisin n’est plus un soutien, mais un rival ; parfois même un danger. Chacun lutte pour préserver le peu qu’il a, dans un environnement où l’avenir collectif a cessé d’exister comme horizon commun. Le vivre-ensemble, qui fut une force, devient une fiction.
La jeunesse, longtemps présentée comme la promesse d’un avenir meilleur, illustre tragiquement cette mutation. Ceux qui rêvaient de mériter leur place par l’excellence, la discipline et le travail bien fait, se rendent compte que ces valeurs n’ouvrent plus aucune porte dans un système brisé. Beaucoup ont renoncé à l’idéal de construire et de transformer, pour se réfugier dans la zone étroite de la survie. Entre l’économie informelle, les petits expédients et l’attente fébrile d’un visa, l’espérance s’évapore. L’école et l’université elles-mêmes, qui devaient incarner la possibilité d’une élévation, apparaissent désormais comme des labyrinthes sans issue.
Ce désespoir généralisé n’est pas une simple disposition psychologique : il agit comme une force corrosive. Il éteint les initiatives, affaiblit l’imagination politique, tue la volonté d’espérer et nourrit une résignation collective qui s’installe comme une norme. L’inacceptable devient ordinaire, et l’ordinaire devient invivable. Ce n’est plus seulement l’économie qui se délite ou l’État qui s’effondre, mais l’énergie vitale d’un peuple qui s’éteint dans la lassitude et la certitude que rien ne changera.
Pourtant, un pays ne disparaît réellement que lorsqu’il renonce à l’espérance. Si la résignation est aujourd’hui l’ennemi le plus redoutable, c’est aussi le terrain sur lequel doit se jouer la bataille pour la renaissance. Briser le cercle du désespoir ne sera pas une tâche aisée : cela suppose de réhabiliter le sens du collectif, de réinventer un horizon de mérite et de dignité, de redonner à la jeunesse des raisons de croire que ses efforts comptent. Il s’agit d’un travail de longue haleine, mais il reste une urgence vitale, car le plus grand danger pour Haïti n’est pas seulement la pauvreté, la violence ou le chaos politique. Le vrai péril, c’est la croyance partagée que tout est déjà perdu. Tant qu’il subsiste une étincelle de refus, une volonté d’espérer malgré tout, rien n’est irrémédiable. Mais si le désespoir continue à s’imposer comme la seule loi commune, alors le pays mourra non pas d’un coup, mais à petit feu, consumé par l’indifférence de ceux qui auraient pu le sauver.
La rédaction
Comments